Pour la première fois dans l’histoire politique de l’Allemagne, l’Union (CDU/CSU), représentant la droite, a présenté une motion au Parlement avec le soutien des voix de l’extrême droite, l’AfD, brisant ainsi – aux yeux de nombreux observateurs – un tabou fondamental.
En l’espace de deux jours, les députés ont été appelés à voter sur le projet de loi intitulé “Limitation des afflux migratoires”. Le vendredi 31 janvier, ce texte a été rejeté de justesse: 350 députés ont voté contre, tandis que 338 se sont prononcés en faveur. Au sein des rangs de la droite (CDU/CSU) et des Libéraux (FDP), des absences ont été constatées, certains députés ayant choisi de ne pas prendre part au vote.
Alors que nous commémorons le 80e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale et de la libération du national-socialisme, le rappel du “Plus jamais ça” prend toute sa signification. Il est impératif de rejeter toute résurgence nationaliste susceptible d’engendrer des conséquences désastreuses. Qu’en est-il alors du devoir de mémoire ? L’Allemagne demeure un pays ouvert au dialogue et aux échanges multiculturels. Les manifestations en faveur de la tolérance et de la diversité en sont la preuve irréfutable : Des millions de citoyens ont exprimé leur mécontentement face au durcissement des lois migratoires et à l’alliance entre la droite et l’extrême droite. Cette mobilisation massive témoigne d’une volonté populaire claire: rechercher des solutions adaptées aux attentes de la majorité des citoyens. C’est là que réside tout l’enjeu de cette question. Que signifie ce revirement d’un parti démocrate ?
Une alliance controversée
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Avec José Ortega, conseiller municipal Erlangen
No pasaran= ça ne passera pas
L’alliance entre la droite (CDU/CSU) et l’extrême droite (AfD) a déclenché d’importantes manifestations dans tout le pays. Près d’un million de citoyens se sont mobilisés contre ce projet de loi en cinq points. À Erlangen, 3 000 manifestants ont occupé les rues, sous l’impulsion des organisations de défense des immigrés, des partis démocrates et du Syndicat des enseignants et chercheurs. Les slogans affichés sur les banderoles traduisaient clairement le rejet de cette politique : “Refugees are welcome here” (Bienvenue aux réfugiés), “Sauver une vie n’est pas un crime”, “Tolérance et diversité”.
La question migratoire : un sujet de division
La politique migratoire prônée par la droite vise un durcissement des lois en vigueur et une limitation des flux migratoires. Le projet de loi rejeté comportait cinq mesures principales :
- Un refoulement systématique des demandeurs d’asile aux frontières allemandes, avec des contrôles permanents aux points de passage des neuf pays voisins de l’Allemagne. Une interdiction d’entrée était prévue pour toutes les personnes sans documents d’entrée valables, même en cas de demande d’asile.
- Une détention préventive pour les demandeurs d’asile déboutés : ces derniers auraient été placés en détention illimitée jusqu’à leur retour volontaire dans leur pays d’origine ou leur expulsion effective.
- Un soutien accru des autorités fédérales aux Länder dans l’exécution des obligations de départ, avec la création de centres fédéraux spécifiques pour l’expulsion des réfugiés.
- Le retrait de la nationalité allemande pour les binationaux naturalisés coupables de délits graves.
- L’interdiction du regroupement familial pour les réfugiés bénéficiant d’un statut de protection temporaire, notamment ceux dits “tolérés”. Cette dernière mesure était particulièrement controversée, car elle concernait principalement des réfugiés de guerre, notamment syriens.
L’alliance entre la droite et l’extrême droite a suscité un vif rejet dans tout le pays. Ces dernières semaines ont été marquées par une tension croissante et des débats houleux. L’issue des élections du 23 février 2025 apparaît désormais incertaine.
Personne ne conteste la nécessité de garantir la sécurité du pays, notamment face à des actes criminels impliquant des réfugiés. Toutefois, la complexité de la situation est manifeste. Un exemple tragique en témoigne: un réfugié afghan, souffrant de troubles psychiatriques et ayant lui-même sollicité son rapatriement, a poignardé un enfant marocain de deux ans et un homme de 41 ans à Aschaffenburg. Ce drame, qui a profondément bouleversé l’opinion publique, rappelle l’importance d’une prise en charge adaptée des personnes en détresse.
Le “cordon sanitaire” (Brandmauer), censé maintenir une séparation stricte entre les partis démocratiques et les mouvements d’extrême droite, a subi des fissures profondes ces dernières semaines. La question migratoire s’impose comme l’un des enjeux majeurs de la campagne électorale. Il est indéniable que l’Allemagne doit répondre aux défis posés par l’immigration. Toutefois, les solutions envisagées doivent être conformes aux droits humains et aux normes législatives de l’Union européenne. La politique migratoire ne saurait être dictée par la peur ou l’exclusion, mais bien par une approche équilibrée et respectueuse des principes fondamentaux de l’État de droit.